A l’occasion de la sortie de sa Palme d’Or “Moi, Daniel Blake”, et du documentaire “Versus” qui lui a été consacré, Ken Loach revient avec nous sur certaines des caractéristiques de son cinéma.
2016, l’année Ken Loach : quelques semaines après avoir reçu la deuxième Palme d’Or de sa carrière, grâce à Moi, Daniel Blake, le cinéaste anglais a été le sujet du passionnant documentaire Versus, sorti début juin dans les salles anglaises (mais toujours invisible en France). L’occasion d’aborder, avec lui, quelques-uns des éléments caractéristiques de son cinéma.
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Moi, Daniel Blake : Ken Loach évoque sa Palme d’Or
Le documentaire s’appelle “Versus” : est-ce parce que vous êtes toujours contre quelque chose dans vos films ?
Cette opposition n’est pas quelque chose que je recherche nécessairement. La société est la même qu’auparavant et le conflit y est toujours fondamental, car il est en son cœur. Il existe et il s’agit de l’évaluer, l’observer et raconter une histoire qui le reflète. Nous, socialistes, sommes du côté de la classe ouvrière contre les riches et puissants. Mais il n’y a rien d’inventé : ce conflit est derrière chaque chose.
On y voit aussi quelques-uns des surnoms qui vous ont été donnés : “Le grand justicier”, “Le maître du réallisme”, “Un marxiste fou furieux”… Y en a-t-il un que vous aimez particulièrement ?
(rires) J’aime le “marxiste fou furieux”, il est bien. Je le trouve amusant.
Les acteurs sont comme des enfants : si vous leur donnez trop, ils vont mal se comporter
Ce documentaire nous rappelle aussi que vous avez été acteur…
… très brièvement [sur scène et dans un épisode de série en 1965, ndlr]
Est-ce que cette expérience vous aide pour choisir des acteurs, et notamment les inconnus que vous avez révélés ? Avez-vous un truc pour faire votre choix ?
Je pense que ça aide car même en étant bref, avoir été acteur permet de réaliser à quel point ils sont vulnérables. Vous savez ainsi mieux comment les encourager. Car il ne s’agit pas uniquement de leur dire des choses gentilles. Il faut chercher à lui paver la voie pour que ce soit plus facile pour eux. Et aussi savoir ce qu’il ne faut pas dire, afin qu’il ne parte pas dans la mauvaise direction. Diriger des acteurs est très délicat, car il suffit d’un mot de travers pour que les choses se passent mal.
Et l’équipe technique n’est pas là pour les regarder ou leur mettre la lumière dans les yeux : il faut aussi faire en sorte de leur faciliter la vie, tout en maintenant une énergie créative. Dans cette optique, le pire ce sont les acteurs à qui l’on fournit une caravane, car ça les isole des autres et met une énorme pression sur leurs épaules : lorsqu’ils sortent, on attend d’eux qu’ils fassent quelque chose d’extraordinaire, puisqu’ils sont restés assis pendant trois heures. S’ils restent à discuter avec l’équipe, en revanche, il y a moins de pression. C’est comme avec les enfants : si vous leur donnez trop, ils vont mal se comporter.
Cela signifie-t-il que vous instaurez des règles sur un plateau ?
Ça n’est pas tant des règles que des façons de faire des choses. Nous n’avons pas de moniteur, par exemple, et personne ne donne son avis. Nous respectons tous l’intimité de chacun et personne ne reste planté à regarder les acteurs jouer. Le perchiste évite, à ce titre, de les regarder dans les yeux et se tourne pour ne pas les perturber. Les seules personnes autorisées à les regarder sont celui qui fait le point, et le caméraman à travers l’objectif.
Les acteurs sont ainsi face-à-face et davantage concentrés sur ce qu’ils doivent faire, ce qui leur permet de croire plus facilement ce qu’ils sont en train de jouer. Car ils ne le font pas pour un public sur le plateau. Ils communiquent avec une personne. Et je tourne par séquences, donc ce que les acteurs font un jour sert de répétition pour le lendemain, car vous l’avez déjà vécu.
C’est ainsi qu’il a tourné “Moi, Daniel Blake” :
Moi, Daniel Blake Bande-annonce VO
Y a-t-il des différences entre vos films contemporains et historiques dans votre façon de tourner ?
Pas sur le long terme. J’ai travaillé avec un caméraman appelé Chris Menges dans la seconde moitié des années 60, et il m’a beaucoup appris. Jusque-là, j’étais habitué aux caméras portées, ce qui était bon par rapport à ce que nous faisions à l’époque, car j’étais davantage dans le cinéma vérité. Mais j’en m’en suis détourné après avoir rencontré Chris Menges, et je suis devenu observateur au lieu de courir derrière les gens. C’est pour moi ce qu’il y a de mieux pour capturer l’authenticité et obtenir des belles performances.
Le documentaire explique que vous aimez “montrer le monde tel qu’il est” : est-ce plus difficile lorsque vous faites un film d’époque ?
Non, c’est plus gros sur le plan logistique et c’est évidemment plus coûteux, car il faut recréer le passé. Il faut davantage de travail, mais le processus reste le même, car il faut faire des recherches quoiqu’il arrive et peu importe le sujet. C’est quelque chose que nous respectons beaucoup avec Paul [Laverty, son scénariste, ndlr], et cela ressemble au travail d’un bon journaliste. Il nous faut justifier ce qu’il y a dans le film.
Je suis devenu observateur au lieu de courir derrière les gens
Certains de vos films semblent faire référence aux “400 coups”, que ce soient “Kes” ou la fin de “Sweet Sixteen”, sur la plage. Est-ce le cas ?
Non, pas vraiment. Je n’ai jamais fait consciemment référence à un autre film car je n’aime pas cela, ça me paraît trop introspectif, trop replié sur soi. Il y a bien sûr un chien à trois pattes dans tous mes films, mais je n’ai jamais fait référence à un autre film de manière volontaire. Je cherche à ce que tout soit motivé par l’histoire et les personnages, mais je sais qu’il y aura sans doute des images récurrentes dans mon cinéma, sans que ce ne soit volontaire pour autant.
Vous avez en revanche dit avoir été inspiré par les cinéastes d’Europe de l’Est. Andrzej Wajda, qui nous a récemment quittés, en faisait-il partie ?
Oui, et j’ai vu ses premiers films, ceux qu’il avait faits juste après la Seconde Guerre Mondiale. Le cinéma d’Europe de l’Est m’a beaucoup frappé, à commencer par les films tchèques de Milos Forman ou Jiri Menzel. J’ai particulièrement aimé leurs films car je les ai trouvés très drôles. Et très humains aussi.
Un mois après votre Palme d’Or pour “Moi, Daniel Blake”, l’Angleterre a voté en faveur du “Brexit”. Quel impact cela aura-t-il sur le cinéma anglais selon vous ?
Ça ne va pas aider, car il va nous sortir des financements des médias en Europe, qui ont une grande valeur. Il nous faut négocier pour rester dans ce circuit, et au sein d’Eurimages. Sinon, il va devenir plus compliqué de faire des films. Nous avons des co-productions avec plusieurs pays européens, dont la Belgique grâce à la société des frères Dardenne qui, en plus d’être de bons amis, peuvent obtenir des aides financières si une partie de l’équipe est belge ou que nous utilisons certains de leurs services.
Nous sommes très heureux de cette relation et les Belges sont des personnes très adroites et talentueuses. Mais s’ils ne peuvent plus travailler avec nous, les co-productions vont s’arrêter et les conséquences pourraient être mauvaises.
Voyez-vous des similitudes entre votre cinéma et celui des frères Dardenne ?
Il y a des différences et des points communs, oui. Nous nous intéressons au même genre de personnes et travaillons de façon très simple. Ils travaillent en paire, un peu comme Paul Laverty et moi-même.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 12 octobre 2016